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Publié le 31/05/2023

Entretien avec Sylvain Bordesoules - "L'été des charognes"

« J’ai choisi de travailler sur le texte de Simon Johannin car j’y ai reconnu un terreau commun à mon enfance. Une histoire sur un milieu que je connais, dans un langage qui, enfin, me parlait. Il dit quelque chose sur ce que c’est de grandir dans ce silence au cœur lourd.
Simon Johannin a toujours dans sa manière d’écrire une poésie et une beauté qui vous attendent tapies dans l’ombre. Il sait évoquer les petits moments de grâce, la timidité, la maladresse, l’intelligence, l’amour, cachés sous le masque d’un quotidien trop gris.
Le texte peut paraître brutal, les gens bestiaux. Mais c’est aussi leur vérité et une réalité. Il n’y a pas de jugement à porter. Je pense qu’il n’existe pas de gens qui n’ont rien à dire, de voix sans histoires, de personnes sans humanité.
Mais il y a des violences qu’un enfant ne peut ni ne doit pardonner, et je veux que cette brutalité-là soit expressive.
Si dure que l’enfance du héros puisse sembler, il ne faut pourtant pas lui enlever les moments où lui y trouve de la douceur. « Dans toute chose, il y a une part pour les anges. »
Les enfants heureux pourront ne pas aimer cette histoire, les brisés s’y retrouveront peut-être et d’autres y trouveront, j’espère, un certain réconfort. »

L'été des charognes

On est percuté par la violence de la scène d’ouverture.
Un chien est battu à mort par deux gamins, sans raison, si ce n’est l’ivresse d’une enfance désœuvrée et baignée de brutalité. L'été des charognes est l’adaptation du roman de Simon Johannin, paru en 2017 aux éditions Allia. Sylvain Bordesoules y fait ressortir, par des images à la fois sensibles et percutantes, la sombreur de l’enfance dans un milieu rural et désargenté, ici, émaillée de violences réelles, de preuves d’amour maladroites et d’une affection exprimée comme on se mouche, du bout des doigts. Le récit explore une quête : celle d’une identité, d’une échappatoire, d’un cheminement vers davantage de beauté.

Bordesoules interroge. Quand on ne connaît que ce langage-là, celui de la sentence injuste, de la crasse, de l’alcool, des coups au corps comme au cœur, comment trouver sa voix ?
« Les enfants sont traités comme des choses par les adultes. Ils n’ont pas de voix, ils ne sont pas considérés comme une personne à part entière, avec ses propres choix, ses propres mots. Ils sont presque comme les animaux. »

L’enfant est étymologiquement « celui qui ne parle pas » : il est le produit de ses parents, de son milieu, des chemins tracés pour lui. Il emprunte en automate un sillon et ignore l’existence d’autres passages dévoyés. Ici, paradoxalement, l’enfant mène la danse du récit.

« Je me suis reconnu dans ce texte-là, dans la naïveté et la brutalité des scènes. J’aime qu’on ait le regard d’un enfant sur son milieu. La violence est son environnement, il ne connaît rien d’autre. »
La poursuite d’une nouvelle normalité anime le personnage, que l’on suit dans les errances d’une adolescence où tout est prétexte aux découvertes, aux expériences et aux débordements. L’amour et l’amitié y jouent un rôle superbe, charriant illusions et désillusions dans un ballet imprévisible. Le lycée est une opportunité à saisir.

Il s’agit de ne plus être « gelé d’incertitudes », de se sortir de ce milieu dont on prend conscience au fur et à mesure qu’on s’en éloigne.
« Dans l’enfance du personnage, il y a de la misogynie, du racisme, de l’homophobie… De la tendresse aussi, parfois, dans des petites choses. Bien sûr, il faut du recul et prendre de l’âge pour voir cette lumière éclairer le passé. »
Sylvain Bordesoules permet cet éclat, grâce à la chaleur des ambiances au fil des pages et à une palette de couleurs impressionnistes qui fait resurgir la beauté, comme un clair-obscur.

Une bande dessinée réalisée en écoutant Quoi de Jane Birkin, « en boucle ». Joie et douleur c’est ce que l’amour engendre / Sois au moins conscient que mon cœur peut se fendre / Soit dit en passant j’ai beaucoup à apprendre. La bande-son semble idéale. De l’enfance  à l’adolescence, il faut apprendre à voir son cœur se briser plusieurs fois, digérer les douleurs, comprendre les autres, se trouver soi, déterminer la place que l’on s’accorde, oublier celle qu’on nous a donnée. On pense à Annie Ernaux, évidemment, dont la lecture de La Place a nourri l’auteur, tout comme les livres de Didier Eribon et d’Édouard Louis. L’enfance comme une salissure dont il faut apprivoiser les contours pour mieux la fondre dans son décor.

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