Entretien

Publié le 13/01/2021

Entretien avec Stéphane Melchior et Thomas Gilbert - "La Tour des Anges, 3"

Stéphane Melchior et Thomas Gilbert répondent à nos questions au sujet de La Tour des Anges, 3
13 janvier 2021

Stéphane, en décidant d'adapter Les Royaumes du Nord de Philip Pullman, vous saviez que vous vous engagiez dans un travail de longue haleine. C'était un challenge ?
Stéphane Melchior : Cela a commencé par un plaisir de lecture. J’ai très vite été passionné par l’histoire, le ton, le personnage de Lyra qui me semblait une héroïne peu commune. J’ai eu envie de me lancer à corps perdu dans cette adaptation. Je n’étais pas vraiment conscient du défi, je l’ai compris en me mettant au travail. J’ai été solidement épaulé par Clément Oubrerie au début et maintenant par Thomas. Chaque tome ayant sa propre atmosphère, Clément était parfait pour démarrer parce que la série était alors empreinte de poésie et de mystères et son trait rendait cela très bien. Thomas est idéal pour installer Lyra dans l’adolescence et dans la dureté et la cruauté des développements du récit.

Thomas, après trois albums, qu'est-ce qui fait que le projet reste intéressant ?
Thomas Gilbert : La force de ce projet, c’est la richesse des univers. Il n’y a pas d’ennui possible parce qu’il y a beaucoup d’ambiances, de personnages, de lieux, on voyage énormément avec Lyra et Will. C’est un récit très dense avec de nombreux arcs narratifs. Jouer sur tous ces tableaux est passionnant !

Quels rapports entretenez-vous avec les personnages de la saga ?
Stéphane Melchior : Je suis toujours très heureux de les retrouver, j’ai une grande affection pour eux. Dans cette partie du roman, Pantalaimon est beaucoup moins présent. Alors pour pallier ma frustration, j’ai trouvé des petites astuces pour lui donner un rôle un peu plus important qu’il n’a dans le roman à ce moment-là de l’histoire.

Thomas Gilbert : Pour moi, cela s’inscrit dans une continuité narrative et graphique. Le fait de beaucoup les dessiner me permet de les retrouver avec plus d’assurance.

Dans ce volume, vous amenez Lyra vers l'âge adulte. Cette évolution est-elle difficile à mettre en scène ?
Stéphane Melchior : C’est touchant de voir un personnage grandir doucement, de suivre sa découverte du sentiment amoureux. Elle prend la mesure des enjeux, devient moins égocentrée. J’essaie de sélectionner, dans les dialogues et dans les situations, les passages qui font percevoir ce murissement.

Thomas Gilbert : Je suis plus à l’aise avec les ados, donc cette fille en début d’adolescence correspondait bien à ce que je pouvais faire par rapport à Clément qui la représentait plutôt enfant.

Ce tome comporte beaucoup d'actions dans des univers différents, des combats, des moments émouvants, des scènes plus explicatives... Thomas, est-ce que vous vous êtes beaucoup documenté pour représenter tout cela ?
Thomas Gilbert : Stéphane m’envoie beaucoup de documentation. Par exemple pour les costumes, il m’a joint des photos de costumes russes début de siècle. Comme cela reste un univers fictif, je prends des libertés avec la documentation. Mais même dans les mondes imaginaires, il faut que tout reste crédible, et tous les petits détails demandent énormément de recherches.

Monstres des falaises, spectres, anges, sorcières... il y a beaucoup de personnages imaginaires, c'est un plaisir de réfléchir à quoi ils vont ressembler ?
Stéphane Melchior : Pour les anges, on s’est beaucoup interrogé sur la forme à leur donner. Philip Pullman est très cultivé donc j’ai cherché dans le roman des indices m’indiquant ses sources d’inspiration. Cela nous a conduits vers William Blake, qui a beaucoup représenté les démons et les anges. Mais nous nous sommes écartés de ses créatures entre néoclassicisme et fantasmagorie pour trouver une forme plus originale. La proposition graphique de Thomas était vraiment adéquate.

Thomas Gilbert : La première vision que j’ai eue d’eux à la lecture a tout conditionné. Je me suis dit que ces anges-là étaient quasi invisibles, éthérés, et qu’il fallait tendre vers cela. Ce ne sont pas des anges classiques, ils ne sont pas totalement chrétiens, ils sont presque extraterrestres. L’idée était de jouer avec ça.

Dans ce nouveau tome, il y a une planche où Will et Lyra sont dans une maison à Cittàgazze, assis devant un magnifique tableau. D'où vient l'inspiration pour ce tableau ?
Stéphane Melchior : La très belle fresque La lutte de Jacob avec l’ange de Delacroix, qui se trouve à l’église Saint Sulpice, a été
une des références.

Thomas Gilbert : Là, on sort un peu du récit, et je me fais plaisir avec une belle et grande image. Ça fait du bien de ne pas être dans l’action tout le temps.

Stéphane Melchior : Pour l’anecdote, j’avais pensé à te faire dessiner une partie de la chapelle Sixtine puis je me suis dit que je ne devais pas tuer mon dessinateur avant qu’il ait fini (rires).

Quelle place accordez-vous à cette série dans votre carrière ?
Stéphane Melchior : C’est un tournant majeur pour moi. Ça m’a plongé dans l’exercice de l’adaptation, depuis de nombreuses années et pour quelques années encore !

Thomas Gilbert : L’univers foisonnant m’ouvre des perspectives graphiques, c’est un plaisir. Je me sens évoluer, et c’est assez gratifiant de se sentir avancer dans son travail grâce à ce genre de projets exigeants.