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Publié le 25/09/2024

Entretien avec Sylvain Bordesoules - "Azur Asphalte"

Entre rêves et déboires, débrouille et entraide, Azur Asphalte de  Sylvain Bordesoules expose avec une tendresse et une réserve désarmantes la vie, faussement simple, de deux Niçoises, sœurs de sang et de galère.
Un regard délicat qui laisse transpercer la joie à travers les ombres.

Azur Asphalte

L’horizon azur de Nice assure-t-il un avenir serein ? Cette côte enchanteresse est-elle fatalement un gage de douceur de vivre, de langueur délicieuse et de touffeur indolente ?
Dans son deuxième ouvrage, Sylvain Bordesoules se glisse dans ce décor qu’il connaît bien, puisqu’il y a grandi. Et les cieux n’étaient pas tout à fait d’un bleu radieux. Après une adaptation de L’Été des Charognes, de Simon Johannin, l’auteur continue d’observer les marges, et celles et ceux considérés comme déclassés. Il le fait loin des clichés, avec la tendresse de regard qu’on lui connaît désormais. D’autant plus que son récit, intime, met en scène ses propres sœurs, Mélissa et Candice, Niçoises depuis toujours, Niçoises à contre-jour.

L’une est blonde, travaille dans une grande surface quand elle en a le courage, vit dans un petit studio avec sa copine, et rêve d’un grand appartement. L’autre est brune, cantinière dans une crèche, mère célibataire de deux enfants, et rêve d’amour. Sylvain Bordesoules montre avec une sensibilité indéniable les petites et grosses galères du quotidien, l’entraide, la débrouille et les élans de ces deux jeunes femmes pour s’en sortir, malgré tout. L’auteur avance à pas feutrés, tout en pudeur et retenue, mais non sans humour, évitant habilement les faux-semblants. Avec l’envie de faire « comme une capture d’écran » de la vie ensoleillée et pleine d’ombres de ses sœurs. Azur Asphalte.

« L’Été des charognes racontait des gens invisibles, souvent absents de l’espace médiatique et fictionnel. Cela a résonné avec ma propre histoire. Je me suis rendu compte que, comme moi je m’étais échappé de ce milieu, j’y portais un certain jugement. Après tout, si j’avais réussi à partir, pourquoi pas elles ? Je sais désormais que cette pensée est fausse. »
L’inertie du quotidien, l’engrenage insidieux des difficultés, les bonheurs qui se nichent partout, si on veut bien les saisir au bond.
« Je veux montrer la beauté de mes sœurs, leur intelligence et leur sensibilité. Faire comprendre qu’on ne galère pas par envie. Les discours volontaristes sont artificiels. Tout le monde ne part pas avec les mêmes cartes en main et pourtant chacun a de la valeur. »

Sylvain Bordesoules fait une déclaration d’amour à celles qui sont restées. Il tend un miroir vers leur force et leur carrure héroïque. Lui est parti, transfuge volontaire, éloignant de sa réalité ceux qui n’ont pas eu l’envie ou l’audace de s’extraire.
« J’avais l’impression de leur devoir quelque chose. Enfants, on se disait toujours : « quoi qu’il arrive, on reste ensemble. ». »
Les dialogues intérieurs éclairent, par touches discrètes, un passé flou, que l’on devine émaillé de violences et de manques, cruel. Le prosaïsme du récit en fait un instantané puissant, doux, forcément sublime. Le dessin de Bordesoules est riche de détails délicieux, les ambiances sont chaleureuses, lumineuses, les couleurs — des bleus, des mauves, presque étincelants — semblent s’échapper du cadre. Mélissa et Candice sont belles, et bien vivantes.

Le livre s’est un temps appelé La part des anges : « Ce petit quelque chose présent chez tout le monde, mais qui parfois s’évapore sans qu’on puisse le saisir. ». À Nice, les anges dépeints ici ont droit de cité, « même si elles s’auto-excluent souvent. ». L’auteur et ses deux personnages, si chers à son cœur, constituent un trio que l’on devine empli d’un amour parfois bancal, mais toujours sincère. Le déséquilibre entre eux n’est pourtant qu’illusoire : Sylvain Bordesoules prépare un nouveau récit sur la violence qui rattrape parfois sournoisement, même celui qui a fui.

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