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Publié le 05/09/2024
Entretien avec Marguerite Abouet et Mathieu Sapin - "Akissi de Paris, 1"
Marguerite Abouet a quitté la Côte d’Ivoire à l’âge de douze ans, mais grâce à un tempérament fort et un sens de l’adaptation étonnant, elle a rapidement dépassé la tristesse de ce déracinement pour saisir l’opportunité de satisfaire sa curiosité et son goût des rencontres.
C’est ce qu’elle raconte dans sa nouvelle série, Akissi de Paris, dessinée par Mathieu Sapin, qui adopte le format d’un récit au long cours et aux préoccupations adolescentes.
Ça y est, cette fois, c’est la bonne !
Après avoir évoqué plusieurs fois son départ, et même avoir pris l’avion et l’avoir contraint au demi-tour, Akissi est enfin arrivée en France. Adieu la Côte d’Ivoire et la douceur de vivre de Yopougon, bonjour la grisaille et la mauvaise humeur parisiennes ! Envoyés par leurs parents soucieux de leur avenir, Akissi et son frère Fofana viennent de s’installer chez leur Papi de Paris pour étudier dans un collège français. Ce choc culturel, la scénariste Marguerite Abouet l’a vécu, car, faut-il le rappeler, Akissi est son alter ego.
« Au moment de quitter mon pays, à douze ans, je pensais que cette décision avait été prise seulement quelques mois auparavant, se souvient-elle. Mais cela faisait plusieurs années que l’oncle de ma mère, médecin à Paris, la poussait à me faire venir, pour me donner les meilleures chances. J’étais tellement angoissée de quitter mes parents, mes amis, mon quartier, que je ne mangeais plus… Alors mes parents ont décidé de faire partir mon frère avec moi… à son grand désespoir, car il pensait être enfin débarrassé de sa petite sœur ! ».
C’est cette histoire, son histoire, transposée de nos jours et à peine romancée, que Marguerite Abouet conte dans la nouvelle série Akissi de Paris, toujours avec Mathieu Sapin au dessin.
« Après l’épidémie de Covid et l’épisode que nous lui avions consacré, nous avions envie de faire évoluer le personnage d’Akissi et d’enfin la faire atterrir en France, raconte- t-il. J’avais en tête la façon dont Julien Neel avait fait grandir son personnage de Lou, album après album. En plus, ce changement radical de décor nous permettait d’adopter un nouveau format dans un récit au long cours. Et, comme Akissi était plus grande, nous allions nous adresser à des lecteurs un peu plus âgés, des collégiens, entre ceux d’Akissi et ceux d’Aya. »
Mais cette rupture dans la routine de travail des deux auteurs n’a pas été si simple.
« Il a fallu que je m’adapte à ce nouveau contexte pour Akissi, afin de trouver des solutions pour raconter mes souvenirs à travers elle. », explique l’autrice.
« Marguerite a dû faire un gros travail de réinvention, confirme Mathieu Sapin. Pour ma part, j’ai dû créer plein de nouveaux décors et une dizaine de nouveaux personnages ! Et apprendre à dessiner une Akissi préado. »
Akissi découvre donc en même temps la vie parisienne et le quotidien collégien. Marguerite Abouet se rappelle avoir d’abord été très surprise par les questions des autres enfants : « Ils me demandaient si, en Afrique, on habitait dans des maisons ou si on allait à l’école… C’était très bizarre ! Parce que moi, grâce aux séries télé, je savais très bien comment les Occidentaux vivaient ! ». Ensuite, c’est la différence des relations entre les enfants et les adultes qui l’a frappée : « À Yopougon, on ne discutait pas avec les adultes, ils ne nous demandaient jamais notre avis. À Paris, Papi voulait toujours savoir comment on se sentait, ce qu’on voulait… Même si c’était lui qui décidait à la fin ! ».
Mise à part la moquerie sur sa coiffure et ses vêtements pas du tout à la mode, Marguerite Abouet n’a pas souffert de racisme à son arrivée.
« Sans doute parce que je sais me défendre et que j’ai très vite compris qu’en tant qu’étrangère, il fallait que je m’adapte. Le plus difficile, mais comme pour tous les ados, c’était de trouver une bande. En plus, à Yopougon, c’était moi la cheffe de bande ! Je faisais tout pour m’intégrer, je paraissais tout le temps enjouée, souriante. À tel point qu’on m’a fait consulter un psychologue, parce que ça semblait un peu anormal ! Il était très gentil, et très beau, et j’adorais venir lui raconter ma vie. Et quand je n’avais plus rien à lui dire, eh bien, j’inventais des histoires ! ».
Peut-être est-ce là qu’est née la vocation de « raconteuse d’histoires » de Marguerite Abouet, comme elle aime se définir. Car que ce soit dans Aya de Yopougon, Bienvenue, Commissaire Kouamé ou désormais Akissi de Paris, Marguerite Abouet n’en a pas fini de construire son petit monde qui parle de tous et s’adresse à tous.
« C’est toute la force de l’écriture de Marguerite : rendre ses récits universels, même s’ils sont autobiographiques. Chacun peut s’identifier à ses histoires et les ados d’aujourd’hui se retrouveront aussi dans Akissi de Paris. », conclut Mathieu Sapin.